Projet de réforme des retraites : les cadres grands perdants

C’est écrit dans le projet de loi : le principe de la réforme du gouvernement est de diminuer le coût des retraites. D’abord en bloquant les ressources dévolues à leur financement au-dessous du niveau actuel de 14 % du PIB… alors que le nombre de seniors est appelé à augmenter considérablement. Ensuite en fixant comme « règle d’or » un carcan budgétaire qui interdit tout déficit sur une période glissante de 5 ans.

Premier levier d’économie: l’âge de départ

Dans le système actuel, la loi garantit le calcul et le niveau des pensions. Dans la nouvelle formule, seul l’équilibre financier serait garanti aux dépens de droits qui pourront être revus à la baisse en permanence. L’article 11 du projet instaure un âge d’équilibre ou âge pivot qui se substituera au mécanisme faisant intervenir la durée d’assurance. L’âge légal est maintenu à 62 ans pour ouvrir les droits à retraite mais avec 5 % de décote par an si l’on part avant l’âge d’équilibre. Celui-ci évoluera pour chaque génération à raison des deux tiers des gains constatés d’espérance de vie à la retraite. Son introduction se traduirait, selon les estimations du Gouvernement, par un recul de l’âge effectif de départ qui attendrait 64 ans à l’entrée en vigueur de la réforme et 65 ans et 2 mois pour la génération 2000. Cela signifie des départs toujours plus tardifs et/ou des niveaux de retraites largement amputés. Pas vraiment un « choix » pour les seniors victimes d’un chômage élevé1 et pour les cadres qui ont fait de longues études et sont entrés tardivement dans la vie active !

Deuxième levier: le niveau des pensions…

Le niveau des pensions est l’autre levier d’ajustement aux contraintes financières fixées. La réforme vise à passer d’un système « à prestations définies et négociées », dans lequel le taux de remplacement2 est garanti, à un système « à cotisations définies », où les ressources sont bloquées et les pensions s’ajustent à la baisse. Il est prévu que si les modalités d’indexation des retraites restent fixées sur l’inflation, la Caisse nationale de la retraite universelle (CNRU) pourra toutefois prévoir un autre taux de revalorisation pour garantir le respect de la trajectoire financière pluriannuelle du système.

…un niveau modulé via la valeur du point

Dans ce nouveau « régime universel par points », chaque affilié dispose d’un compte personnel alimenté sur l’ensemble de la carrière par les cotisations patronales et salariales assises sur ses rémunérations et par les versements effectués en compensation de certaines périodes prises en compte bien que non travaillées. Ces cotisations sont immédiatement transformées en points, selon la « valeur d’acquisition » du point à la date de leur paiement. Lorsque la personne demande à prendre sa retraite, ces points sont transformés en montant mensuel de pension, selon la « valeur de service » du point. C’est la future CNRU qui déterminera chaque année en janvier combien d’euros de cotisations sont nécessaires pour acquérir un point (valeur d’achat du point), et à combien d’euros de pension donne droit un point au moment de la liquidation de la retraite (valeur de service du point). Ces revalorisations ne suivront plus l’inflation, mais l’évolution annuelle du « revenu moyen par tête », un nouvel indicateur à définir par décret. Elles seront sous pression de l’objectif financier fixé, constituant une variable d’ajustement étroitement liée à la situation économique et démographique.
Ce mécanisme de retraite par points retire aux assurés la visibilité sur le taux de remplacement prévisible qui leur sera appliqué, dans la mesure où la pension n’est plus exprimée à raison d’un taux rapporté à un revenu de référence mais à une valeur de service du point définie de manière à garantir l’équilibre financier global du système. Une incitation supplémentaire à anticiper en investissant dans les assurances-retraites privées.

…un niveau diminué via la période de référence

Le système par points tout au long de la carrière constitue un autre facteur défavorable pour la grande majorité des salariés. La prise en compte de toute la carrière au lieu des 25 meilleures années (ou des 6 derniers mois en ce qui concerne les fonctionnaires) pour le calcul de la retraite pénalisera particulièrement les cadres dont la carrière est généralement ascendante et débute maintenant bien souvent par une accumulation de petits boulots et de périodes d’activités décousues au sortir d’études longues. L’effondrement du montant des pensions poussera, notamment les cadres, à compenser ces pertes en épargnant dans les fonds de pension dont on sait combien ils sont peu sûrs3 et qui sont finalement les grands bénéficiaires de cette réforme4.

Des cadres sup sans droit et un manque à gagner pour les caisses

Le projet de régime universel prévoit que le taux de cotisation baisse, voire chute pour les cadres supérieurs qui gagnent plus de 120000 euros par an (trois fois le plafond de la Sécurité sociale), soit 300000 personnes, dont 200000 salariés. Au-delà de ce seuil de revenu ne subsistera plus qu’une cotisation déplafonnée de 2,81 % qui n’ouvrira à aucun droit à pension. Ce manque à gagner conduira ces cadres à recourir aux assurances privées. Loin d’une mesure de justice sociale, ne plus garantir aux cadres le maintien de leur niveau de vie au prétexte qu’ils seraient « favorisés », crée un boulevard pour la capitalisation.
Bien plus, cette exclusion des cadres supérieurs de la répartition intégrale privera notre système de retraite solidaire de leurs cotisations. Le manque à gagner annuel à partir de 2025 a été précisément chiffré par l’Agirc-Arrco: 4 milliards d’euros en 2025, 4,8 milliards en 2037, 5 milliards en 2040.

Pour toutes ces raisons FO se bat :

  • pour le retrait d’une réforme dont le Conseil d’État lui-même constate que « les projections financière restent lacunaires » et laisse comprendre que les procédures de consultations ont été bâclées: manque de sérénité et de délais de réflexion pour garantir la sécurité juridique, au regard d’une réforme touchant une des composantes majeures du contrat social,
  • pour renforcer notre système à « prestations définies » et garantir le maintien du niveau de vie des retraités, en augmentant les financements assis sur les cotisations sociales et les richesses produites par le travail,
  • pour améliorer les droits à la retraite et assurer l’égalité notamment entre les femmes et les hommes dans le cadre du système et des régimes existants,
  • pour stopper les exonérations de cotisations sociales qui atteignent en 2019 le montant record de 66 Mds d’euros
  • pour développer des politiques efficaces d’emploi et de salaire qui financent nos retraites: arrêt de l’austérité salariale notamment dans la fonction publique, mesures pour l’égalité salariale, contre le chômage et la précarité.

Nous refusons d’être contraints de jouer notre retraite en Bourse.
Plutôt que d’alimenter la spéculation et les fonds de pension, finançons la retraite solidaire par répartition !

1 Les chances de retrouver un travail chutent brutalement après 52 ans. Si le taux de retour à l’emploi est proche des 50% à 50 ans, il n’est plus que de 30% à 58 ans et de 20% à 60 ans. Les chômeurs de plus de 50 ans passent en moyenne 673 jours au chômage, contre 388 jours pour l’ensemble des chômeurs.
2 En pourcentage, rapport entre le montant de la pension sur le dernier salaire
3 Voir l’article du Monde diplomatique : les retraités trahis par les fonds de pension.
4 Les pensions représentent 320 milliards par an qui échappent aujourd’hui aux assurances privées et aux fonds de pensions.

Lire l’inFOcadres de janvier – février 2020