Les recours juridiques engagés par la Confédération FO contre la loi travail

Cher(e)s Camarades,

L’ensemble des possibilités de recours juridiques contre la loi Travail a été recherché et analysé.
Il convient maintenant de faire le point afin de vous exposer le plus clairement possible :

  • Ce qui peut être fait maintenant ;
  • Ce qui nécessite la publication d’un texte ou l’avènement d’une situation contestable qu’il faudra impérativement nous faire remonter.

Notre stratégie judiciaire se situe à plusieurs niveaux.

I – Une saisine de l’OIT
Certaines conventions fondamentales de l’OIT peuvent être mobilisées.

  • La convention n°87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical ;
  • La convention n°98 sur le droit d’organisation et de négociation collective.

Mais il n’est pas inutile aussi d’envisager de s’appuyer sur la convention 1581.
Plusieurs arguments peuvent être soulevés :

  • L’atteinte à la liberté de choix du niveau de négociation.

Le comité de la liberté syndicale a développé le point de vue de la liberté de décider du niveau de la négociation.
« En vertu du principe de la négociation collective libre et volontaire énoncé à l’article 4 de la convention n°98, la détermination des niveaux de négociation collective devrait dépendre essentiellement de la volonté des parties et, par conséquent, ce niveau ne devrait pas être imposé en vertu de la législation […] ».
Ainsi, on pourrait soutenir que la loi Travail qui impose la prédominance du niveau de l’entreprise porte atteinte à la liberté syndicale.

  • Les nouvelles règles de validation des accords collectifs, et tout particulièrement le referendum, sont contraires à la convention 87 de l’OIT.
  • Les accords de préservation et de développement de l’emploi qui, selon les nouvelles règles de la loi Travail, se substitueraient de plein droit aux stipulations du contrat de travail, sont contraires à la convention 158 de l’OIT2.

Aussi la Confédération a pris la décision de contester la loi Travail au regard de ces textes.
Ces démarches auprès de l’OIT nous permettent d’agir immédiatement pour poursuivre notre combat contre la loi Travail sans qu’il soit besoin d’attendre la parution de décrets, pour l’entrée en vigueur de certains articles, ou l’engagement de contentieux individuels ou collectifs liés à des situations de terrain.
Cette démarche juridique mais aussi politique et médiatique sera menée en coordination avec la CGT.

II – Un recours pour excès de pouvoir contre les décrets dès leur parution
Un recours pour excès de pouvoir peut être exercé devant le conseil d’Etat dans les deux mois à l’encontre d’un décret.

  • S’agissant du domaine de la durée de travail, des décrets d’application devraient paraître prochainement.

Le domaine de la durée du travail est le domaine d’expérimentation, par excellence, de la loi Travail, puisque c’est ce domaine qui « inaugure » l’architecture en trois niveaux avec l’inversion de la hiérarchie des normes et la primauté de l’accord d’entreprise.
La Confédération exercera donc un recours pour excès de pouvoir dès la publication au JO des décrets.
Qu’il s’agisse de la question des astreintes3, des équivalences ou de l’aménagement différent de la durée du travail selon la taille de l’entreprise par décision unilatérale de l’employeur (4 et 9 semaines), la Confédération contestera le décret pris en application d’une loi qui, elle-même, ne respecte pas les durées de travail et de repos de la directive européenne sur le temps de travail.
Une jurisprudence importante de la CJUE peut être invoquée à l’appui de l’argumentation.
A l’occasion du contentieux devant le Conseil d’Etat, pourra être soulevée une QPC (Question prioritaire de constitutionalité) fondée sur plusieurs arguments :
Tout d’abord le non-respect de l’article L1 du code du travail4 mais aussi du droit à la santé et au repos (consacré non seulement par le Préambule de la Constitution de 1946 mais aussi par des normes internationales).
L’inconventionalité sera ainsi invoquée et soutenue par l’argument du non-respect de l’article 55 de la Constitution5.
La rupture d’égalité sera également au centre de l’argumentaire s’agissant de l’aménagement des temps de travail variable selon la taille de l’entreprise.

  • Au-delà du domaine de la durée du travail, certains autres articles de la loi Travail nécessitent pour leur entrée en vigueur, un décret d’application (en particulier les dispositions relatives à la médecine du travail).

A chaque fois, nous examinerons l’opportunité, tant juridique que syndicale, d’exercer un recours pour excès de pouvoir.

III- Des recours judiciaires (Prud’hommes ou TGI)
Certaines dispositions de la loi Travail ne nécessitent pas de décret d’application et sont d’ores et déjà applicables.
Des litiges risquent donc de survenir très vite et nous vous demandons impérativement de nous les faire remonter pour que la Confédération puisse s’associer dès le début du contentieux, qu’il s’agisse d’un contentieux prud’homal ou d’un litige devant le TGI.

  • Par exemple, la question des accords de préservation et de développement de l’emploi (article 22 de la loi) – peut très vite faire l’objet de contestation.

Rappelons, en effet, que l’article L 2254-2 I du code du travail prévoit la substitution de plein droit des accords aux stipulations du contrat de travail, y compris en matière de rémunération et de durée du travail.
L’atteinte à l’articulation accord collectif/contrat est, dans cette hypothèse, flagrante.
Le litige peut donc naître à la suite de la négociation d’un tel accord dans une entreprise que le syndicat FO aura refusé de signer et qu’il entendra contester devant le TGI.
Ce pourra être aussi au travers d’un cas individuel de salarié qui refusera la modification de son contrat de travail.
Le fondement de la contestation reposera sur la violation des articles 4, 8 et 9 de la convention 158 de l’OIT et de l’article 24 de la charte sociale européenne révisée (justification du licenciement et exigence d’un motif valable6…) mais il sera aussi possible à cette occasion de déposer une QPC basée sur 3 points (non-respect de l’article L1, violation du principe de faveur7 et inconventionalité).

  • L’article 67 sur les licenciements économiques (art L1233-3), en ce qu’il instaure une distinction des difficultés économiques en fonction de l’effectif, peut faire l’objet d’une contestation devant le conseil de prud’hommes à l’occasion d’un licenciement.

Là aussi, le motif lié à la rupture d’égalité pourra être invoqué dans le cadre d’une QPC déposée lors du litige prud’homal.
Ce pourra être aussi à l’occasion de la contestation d’un PSE devant un TGI.
Cette disposition rentre en vigueur au 1er décembre 2016.
Si vous avez connaissance de telles situations où des militants FO sont concernés, faites-nous remonter les cas.

  • Les licenciements préalables à un transfert d’entreprise lors d’un plan de sauvegarde de l’emploi peuvent aussi être contestés pour violation de la directive 2001/23 du 12 mars 2001.

En effet, la directive n’autorise pas des licenciements antérieurs au transfert pour une réorganisation qui n’interviendrait que postérieurement à celui-ci. Aussi l’article 94 de la loi Travail qui précisément autorise ces licenciements (art L 1233-61), pourrait-il, à tout le moins, faire l’objet d’une question préjudicielle auprès de la CJUE.

  • Enfin, dès la négociation d’accords collectifs en matière de temps de travail, qu’il s’agisse de mise en place d’astreintes, d’équivalences ou d’aménagement du temps de travail, il sera possible d’engager un litige individuel (conseil de prud’hommes) ou collectif (TGI). L’argument du non-respect de la directive temps de travail pourra être soulevé (par effet direct de la directive en droit interne ou par question préjudicielle).

Conformément à la résolution du CCN, notre détermination à combattre la loi Travail reste intacte et l’ensemble de ces recours juridiques participe pleinement à ce combat.
Nous comptons sur votre participation active pour nous faire remonter tous les cas susceptibles de faire l’objet de recours.
Nous profitons de cette circulaire pour vous joindre le document définitif (mis à jour après la publication de la loi Travail du 8 août dernier) contenant tous les commentaires Force Ouvrière.

1Rappelons que c’est sur la base de la convention 158 que le combat contre le CNE a été gagné.
2Ratifiée par plus d’une trentaine de pays.
3Le comité européen des droits sociaux avait déjà condamné la France sur son régime d’astreinte pour violation de la charte sociale européenne révisée en matière de droit au repos (CEDS, 23 juin 2010).
4A noter que la violation de l’article L1 du code du travail pourra être soulevée à titre préliminaire à l’occasion de tout recours, non seulement dans le cadre de QPC, mais lors de tout recours administratif ou judiciaire.
5Pour rappel l’article 55 de la Constitution vise la supériorité des normes internationales sur le droit interne : « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».
6Le contrôle exercé par le juge est une exigence internationale certaine posée par l’article 30 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
7Certes, le principe de faveur n’a pas valeur constitutionnelle dans sa dimension de principe gouvernant la création des normes mais le Conseil constitutionnel n’a pas encore été saisi de la question de savoir si des exigences constitutionnellement garanties pouvaient être attachées à la règle de conflit de normes imposant la norme la plus favorable au salarié.

Amitiés syndicalistes.

Didier PORTE
Secrétaire Confédéral

Jean-Claude MAILLY
Secrétaire Général

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