Le rôle de l’Arcep

monopole-arcep-298x220Internet, télécoms fixes, réseaux mobiles et postaux sont des «infrastructures de libertés». Liberté d’expression et de communication, liberté d’accès au savoir et de partage, mais aussi liberté d’entreprise et d’innovation. Parce que le plein exercice de ces libertés est essentiel dans une société ouverte et démocratique, les institutions nationales et européennes veillent à ce que les réseaux d’échanges se développent comme un «bien commun», quel que soit leur régime de propriété, c’est-à-dire qu’ils répondent à des exigences fortes en termes d’accessibilité, d’universalité, de performance, de neutralité, de confiance et de loyauté. Tels seraient les objectifs affichés de l’Arcep. Hélas, cette «promesse» n’est pas tenue.
Bien au contraire…


Les 20 ans de l’arcep : on n’aime pas forcément…

La loi de réglementation des télécommunications (1996) a créé l’Autorité de Régulation des Télécommunications (ART) qui s’est mise en place en 1997. En 2005, elle est devenue l’ARCEP en voyant ses compétences étendues à la régulation des activités postales.
Gérard Larcher, qui fut rapporteur de la loi de 1996, déclare dans un opuscule à la gloire des 20 ans de l’ARCEP :
« Cette loi a marqué la fin du monopole public sur le téléphone. Nous étions convaincus – et nous avons eu raison – à la fois des vertus d’une concurrence accompagnée d’une régulation efficace et de la capacité à la concilier avec les principes du service public et de l’aménagement du territoire. » La réalité d’aujourd’hui, c’est que nous n’avons eu que l’hyper-concurrence avec ses conséquences désastreuses pour l’emploi. Si, de son point de vue, la régulation s’est avérée efficace, c’est plutôt pour affaiblir le service public avec un échec total concernant l’aménagement du territoire.
En effet, Bruno Lasserre, qui organisa au ministère des PTT le démantèlement de l’administration de service public et qui est tristement célèbre pour ses méfaits lorsqu’il dirigeait l’autorité de la concurrence, vend la mèche dans l’opuscule cité précédemment, en expliquant : « Fêter les 20 ans de l’Arcep, c’est […] aussi se souvenir que le concept de régulateur vient de l’Europe, avec l’obligation pour les États de séparer les fonctions de réglementation et d’exploitation, et un champ d’action limité aux obstacles que le droit commun de la concurrence ne peut lever. »
C’est donc l’Union Européenne qui a fini par imposer à la France ses lois de libéralisation.
Et lorsque Bruno Lasserre parle d’obstacles, il s’agit clairement de montrer du doigt tout ce qui touche au service public, tout ce qui pourrait servir l’intérêt général plutôt que l’intérêt privé, tout ce qui échappe à la loi du profit.
Quant à Jean-Ludovic Silicani, qui fut président de l’ARCEP lors de l’introduction de Free sur le marché du mobile, il déclare : « L’Arcep œuvre au bénéfice des utilisateurs et protège les consommateurs. La libéralisation du secteur avait pour principal objectif, en stimulant la diffusion de l’innovation, de faciliter le développement de nouveaux services et de réduire les prix. »
Il confirme les objectifs consuméristes de l’institution et, en cela, son indifférence aux désastres sociaux et économiques qu’il a manifesté lorsqu’il nous a reçus ou lors de nos interpellations.

zones blanches et écrans noirs

Les « zones blanches », c’est-à-dire des zones sans aucune possibilité d’utiliser un téléphone mobile et/ou internet, souvent situées en zones rurales où la population est peu dense, ne sont toujours pas résorbées. Le plan France Très Haut Débit, lancé début 2013 avec pour objectif de couvrir tout le territoire d’ici 2022, est très en retard. De plus, il présente un surcoût de 15 milliards d’euros d’argent public. Tout cela pour conformer la politique française aux injonctions libérales de l’Union européenne… D’autre part, il faut rappeler que 85 % des Français sont raccordés à Internet. Quid des 15 % restants ? Il devient urgent de réparer cette fracture numérique. Pour FO, il faudrait un vrai plan pour le numérique qui ne saurait se résumer au plan « très haut débit » actuel.

Sous prétexte de s’adapter au monde actuel ou de faciliter l’innovation, c’est en réalité une forme d’impuissance économique volontaire qu’organise l’ARCEP

On le voit face au démantèlement de SFR, comme on l’a vu à propos de la tentative de rapprochement entre Bouygues Télécom et Orange. Seules comptent la concurrence et la baisse des prix. Les plans de suppression d’emplois peuvent bien se succéder, l’investissement peut bien s’effondrer, l’ARCEP n’en a cure.
Pourtant, l’organe de régulation est supposé être indépendant et on pourrait s’attendre à une autre approche. Mais le président actuel de l’ARCEP, Sébastien Soriano, explique dans la publication citée précédemment : « L’essor du numérique permet d’ouvrir une nouvelle ère de l’action publique, fondée sur le partage et l’agilité. » Agilité décidément mise à toutes les sauces pour remettre en cause les droits sociaux ! Nous voyons poindre ici la généralisation de l’ubérisation. Il précise d’ailleurs plus loin :
« Parce que le nouveau monde émerge presque toujours des acteurs à la marge, l’innovation ne doit pas être l’apanage des acteurs en place ou des modèles préexistants. Pour le régulateur, il s’agit de garantir qu’internet reste un espace ouvert, où chacun peut échanger et innover, sans biais ni silo. C’est accepter le foisonnement et l’incertitude, en donnant sa chance à chacun, en permettant les expérimentations et l’émergence de modèles alternatifs, dans ou hors marché, sans a priori. »
L’Internet « ouvert » et la « neutralité du Net » sont utilisés pour justifier une régulation au service d’acteurs qui remettent en cause le modèle de développement industriel et le service public au profit d’un modèle soi-disant innovant mais en réalité très destructeur. Quand Sébastien Soriano reproche à Orange de trop investir et qu’il menace l’opérateur historique de nouvelle mesures de rétorsion, il prend fait et cause pour les acteurs financiers. Ceux qui veulent parasiter le secteur des télécommunications, ceux qui veulent gagner de l’argent sans investir, sans créer d’emplois, sans payer d’impôts.

Qui ne voit pas que ce sont les grands acteurs de l’Internet (Google, Amazon, Facebook, Microsoft et Yahoo) qui sont aujourd’hui les grands gagnants de cette politique ?

Il est dès lors peu étonnant d’apprendre que Google vient de recruter Benoît Loutrel, le Directeur Général de l’ARCEP, pour l’aider à utiliser (ou contourner ?) les règles françaises. Selon la théorie de l’œuf et de la poule, on peut se demander si ce ralliement est la suite logique de la politique de l’ARCEP ou sa cause…
Sébastien Soriano entend « réguler par la data ». Il écrit : « Réguler ”par la data” est une démarche qui dépasse la seule transparence. Cela peut signifier de ”dégrouper la data”, c’est-à-dire d’aller la chercher ”dans le ventre” des acteurs économiques. » Il y a là une menace directe contre les grandes entreprises françaises, au premier rang desquelles figure La Poste. Si l’ARCEP contraint les grandes entreprises de service public à mettre à disposition de leurs concurrents les données liées à leurs relations avec les millions d’usagers, alors elles vont perdre leur principal avantage compétitif et seront menacées. Et nous voyons bien aussi que si La Poste, Orange ou d’autres seront contraintes de mettre leur données à disposition des autres, y compris les GAFA, il est clair que personne ne pourra contraindre ces mêmes GAFA de livrer les données, tout aussi massives, qu’elles stockent sur leurs serveurs américains. Aucune réciprocité ne sera donc possible et c’est une nouvelle menace que fait peser le régulateur sur la compétitivité des entreprises françaises. Et Sébastien Soriano n’est manifestement pas pressé de parler de tout cela avec FOCom. Nous sommes toujours sans réponse à notre demande d’audience du 11 janvier 2017.
Si l’on veut faire un vrai bilan des 20 ans de l’ARCEP, on ne peut que décréter l’état de catastrophe sociale.Privatisation, destruction de dizaines de milliers d’emplois, faillites d’entreprises, entrave au développement économique et à l’équipement du pays, favoritisme pour les acteurs financiers et les GAFA, hyperconcurrence et consumérisme à outrance, décidément, quand on a 20 ans, on n’aime pas forcément.

les opérateurs des télécoms en chiffres

En France, ils représentent 54 % des 73 milliards d’euros de chiffre d’affaires de l’écosystème numérique, le reste étant les GAFA et les différents acteurs du numérique.
✓ 68 % des 128 500 emplois directs
✓ 82 % des 3 milliards d’impôts et taxes
✓ 89 % des 9 milliards d’investissements