Du plan Engage 2025 à la guerre de la 5G

Orange au coeur des débats

La stratégie que la direction d’Orange a déclinée dans son plan quinquennal « Engage 2025 » prétend construire l’entreprise de demain en s’adaptant à un monde en pleine évolution. Elle se concentre dans la raison d’être qu’elle a définie et inscrite dans ses statuts au cours de l’AG des actionnaires du 19 mai 2020 : « nous sommes l’acteur de confiance qui donne à chacune et à chacun les clés d’un monde numérique responsable ». Un objectif ambitieux qui, selon son PDG, s’inscrit dans la durée et place l’Humain avant la technologie.
Mais que signifie-t-il en réalité pour les salariés et les citoyens que nous sommes ? En particulier sur deux sujets :

  • la question de l’évolution de nos métiers et de nos modes de travail qui revêt une urgence certaine, accentuée par l’actualité sanitaire,
  • la question du climat liée au développement du numérique et notamment à l’arrivée de la 5G.

FO Com, en syndicat indépendant et responsable, vous propose son analyse et d’en débattre.

Et la direction veut encore accélérer !

Le plan stratégique « Engage 2025 » annonce l’intensification des transformations de l’entreprise pour les années à venir avec, pour perspective, une entreprise profondément remaniée d’ici 5 ans.

L’axe phare du plan stratégique est la transformation des métiers orientés vers les nouvelles technologies, l’IA, la cybersécurité… Elle nécessite une mise à niveau des compétences pour laquelle 1,5 milliard d’euros sont prévus. Mais simultanément, ce défi de la mise à niveau des compétences s’accompagne d’une nouvelle diminution des coûts de 1 milliard d’euros. Cette économie impactera essentiellement l’immobilier et la masse salariale.

En dépit de la crise sanitaire et des engagements du PDG d’en tirer les leçons, l’openspace et le flex office restent la norme dans tous les projets qui tablent sur le télétravail pour diminuer l’occupation des surfaces et mutualiser les postes de travail. Les plans schémas directeurs de l’immobilier vantent les campus où seront concentrés des milliers de salariés sur un même lieu sans tenir compte des problèmes spécifiques aux grandes agglomérations (transports et circulation engendrant stress, fatigue et pollution, difficulté à se loger, etc.) et sans se préoccuper des conditions de travail et des recommandations sanitaires confirmées par la pandémie COVID-19.

Concernant les effectifs, l’hémorragie continue avec 10 580 à 11 135 nouveaux départs sur la période 2020/2022, sur l’ensemble de l’Unité Économique et Sociale. Le plus fort impact est pour Orange France avec une baisse en moyenne de 8 420 ETPCDI à l’horizon 2022, soit 79,6 % des départs de l’UES. Selon les chiffres de la direction elle-même, c’est-à-dire incluant une politique de sous-traitance que nous contestons, à l’horizon 2022 le déficit entre les besoins et ressources prévus est compris entre 2 155 et 3 850 ETPCDI sur l’UES1.

Les besoins restent supérieurs aux ressources quels que soient le domaine métier et le bassin d’emploi. Ce déficit permanent des effectifs a des conséquences désastreuses sur les conditions de travail, la qualité du service rendu ou la transmission des savoirs.
Dans ce contexte, nous partageons les craintes des médecins du travail quant aux « possibilités pour le plus grand nombre d’acquérir et de mettre en œuvre ces nouvelles compétences, et ce, au-delà de l’aspect générationnel ». Ils s’inquiètent d’ailleurs de « la forte augmentation du nombre de salariés déclarés inaptes à leur poste, liée aux difficultés de reclassement, les postes « à faible exigence physique ou cognitive » ayant progressivement disparu. La problématique des bassins d’emploi désertifiés accentue les difficultés de reclassement, l’allongement des déplacements, corolaire d’un repositionnement sur ces bassins d’emploi, constitue un obstacle supplémentaire. » Et le très mal nommé « ancrage territorial », qui a fusionné et donc élargi les directions opérationnelles en 2019, n’arrange rien. Il produit même des difficultés supplémentaires, pour harmoniser les pratiques entre les DO regroupées, manager à distance, avec des trajets et des horaires à rallonge et le constat de travailler « dans l’urgence constamment ».
Autre sujet d’inquiétude, la multiplication des réorganisations sur laquelle FO Com alerte régulièrement la direction : on ne peut pas tout faire en même temps ! On l’a vu avec Delivery, un projet mal ficelé dont les effets délétères sont relevés chaque année dans le rapport des médecins et confirmés par le pôle de psychologues du travail.

FO Com l’a répété à plusieurs occasions, pour régler les problèmes humains persistants, aggravés par les confinements, la direction d’Orange doit être encore beaucoup plus attentive aux alertes qui lui sont remontées par les divers acteurs des relations sociales. Afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs, elle doit anticiper les risques et prendre toutes les précautions en amont de chaque décision, en respectant les procédures et les instances. Mais surtout, surtout il faut cesser… d’accélérer ! De tout vouloir faire en même temps : empiler les réorganisations, les déménagements et les mutations professionnelles sans respecter les rythmes humains, sans l’accompagnement adéquat.

Si les résultats sont au rendez-vous, le personnel souffre

Lors de la call manager de la DO IDF du 4 novembre, à la question « Quelle est votre humeur du jour ? », 66 cadres sur 145, soit 45 % d’entre eux, ont répondu négativement se définissant comme : fatigué, usé, résigné, lassé, débordé, démotivé, morose, déçu, surchargé…

C’est pour FO Com un signal d’alerte significatif que les responsables de l’entreprise doivent prendre au sérieux. Le contexte anxiogène de ce deuxième confinement nécessite de sécuriser les salariés et d’insuffler un maximum de sérénité dans les relations de travail. Aider les équipes et les managers à maintenir leurs activités dans ces conditions difficiles implique respect, confiance et bienveillance. Ce serait une grossière erreur d’instrumentaliser la crise sanitaire pour déconstruire le tissu bâtit accord après accord concernant par exemple le télétravail pour en faire un outil exclusivement à la main et au bénéfice de l’employeur et beaucoup moins intéressant pour les salariés. Le nouveau DRH a déjà prévenus : il souhaite que, dans le nouvel accord, la détermination des jours de télétravail dans la semaine ne relève plus du libre choix du salarié mais réponde aux besoins, fluctuants, de l’équipe !

Concrètement il faut éviter tous les irritants inutiles, apporter de la souplesse concernant les congés, clarifier rapidement l’accompagnement financier et matériel du télétravail, encadrer le travail à domicile en prévenant des dérives comme l’hyper-connexion, stopper les réorganisations, maintenir le pouvoir d’achat en réajustant ainsi les objectifs autant que de besoin, ne laisser aucun collègue dans le désarroi ou sur le bord du chemin.
Bien au contraire il s’agit d’envoyer des signaux forts aux salariés qui n’ont jamais baissé les bras et ont permis à l’entreprise de conserver de bons résultats : une reconnaissance financière pour accompagner leur professionnalisme, leur engagement, leur adaptation et leur montée en compétences.

Les orientations stratégiques ne peuvent s’exempter d’une prise en compte de la crise sanitaire qui va sans doute durer plus que prévu avec des effets difficiles à évaluer : les objectifs, les moyens mais aussi et surtout les rythmes et la méthode doivent être réajustés. FO Com demande de recruter (au moins 4 000 CDI dans l’immédiat), réinternaliser les activités, cesser la pression sur les coûts, pression qui induit une nouvelle dégradation des conditions de travail, préserver les métiers et savoir-faire, mettre un coup d’arrêt aux réorganisations et projets immobiliers pendant la pandémie.

Du côté des boutiques

La direction nous a indiqué, qu’en début de confinement, l’activité dans les boutiques a diminué de 40 %. Si ce phénomène se confirme, ce serait une injustice de maintenir les mêmes objectifs car la PVC (part variable commerciale) serait amputée alors que les salariés ne sont pas responsables de la situation et en sont même les premières victimes avec des conditions de travail dégradées et une tension permanente.

La 5G, derrière l’enjeu climatique, la guerre économique

Outre son engagement dans la lutte contre les inégalités numériques2, le plan stratégique réaffirme son but d’atteindre le « Net Zéro Carbone en 2040 ». La direction assure que réduire son impact environnemental est le fruit d’une politique basée sur 3 grands principes :

  • réduire les émissions de CO2 en privilégiant les énergies renouvelables, en électrifiant la flotte de véhicules ou en renforçant le programme Green IT&N,
  • intégrer l’économie circulaire dans les processus et métiers et faire du numérique un levier de la transition énergétique et écologique en reconditionnant les équipements au lieu de les jeter et en produisant des terminaux moins dispendieux en énergie et en matières premières,
  • faire du numérique un levier de transition énergétique en particulier via la collaboration à des programmes scientifiques de recherche sur le changement climatique.

Green IT&N 2020 : De quoi parle-t-on ?

Le green IT&N 2020 (Innovative Training Networks) vise à rendre les réseaux et systèmes d’information moins énergivores avec le remplacement des équipements vétustes, la réduction de consommation d’énergie des box, la virtualisation des serveurs, une climatisation optimale des datacenters, l’optimisation des architectures, l’utilisation d’énergies renouvelables (4 750 sites radio solaires - en Afrique et au Moyen-Orient, fermes solaires - 3 en Jordanie, Power Purchase Agreement - contrat d’achat d’électricité renouvelable- éoliens en France et Pologne et PPA solaire en Espagne)…

L’innovation : oui, mais pas à n’importe quel prix
Exemples d’applications de la technologie 5G

La lutte pour diminuer l’empreinte carbone est un élément essentiel de communication interne et externe de l’entreprise. C’est devenu un argument de vente et il faut reconnaître qu’Orange peut se prévaloir d’une certaine réussite : l’entreprise estime à 3,5 millions de tonnes l’économie réalisée sur les émissions de CO2 entre 2010 et 2019.

Cependant si le dérèglement climatique et les émissions de CO2 revêtent une réelle urgence, l’épuisement des ressources pose une autre question tout aussi fondamentale mais beaucoup plus complexe comme on l’a vu à l’occasion de l’arrivée de la 5G. Cette technologie va permettre une plus grande rapidité de connexion sur un plus grand nombre d’appareils, eux-mêmes connectés et interconnectés, tout en rapprochant les opérations de traitement des données de leur source, à savoir l’utilisateur final. Elle va impacter radicalement des secteurs clés comme la médecine, les transports (véhicules autonomes notamment), les objets connectés liés à la smart city et d’autres services innovants que nous ne sommes pas encore en mesure d’imaginer. Si la question des impacts des ondes sur la santé, ressassée à l’occasion de la 2G, 3G, 4G…, a fait rapidement long feu, la téléphonie mobile de cinquième génération continue à susciter un flot d’interrogations. Promoteur de cette nouvelle technologie, Orange s’est naturellement retrouvée au cœur de la polémique sur les questions sanitaire, écologique et, plus fondamentalement, de la surenchère des usages. Ses détracteurs lui reprochent d’induire une consommation énergétique croissante, un saut vers l’hyper connectivité et des développements technologiques hors de contrôle. Évidemment légitimes, ces interrogations sont à traiter indépendamment de la 5G, qui n’est après tout qu’une technique à l’occasion de laquelle on s’interroge. Il n’y a aucune fatalité. On peut faire en sorte que cette nouvelle donne soit un progrès. Qu’elle soit accompagnée de mesures réduisant la consommation énergétique.

Que les usages qu’elle permettra soient pensés, maîtrisés et répondent non pas à une demande irréfléchie mais à un besoin rationnel…
On sait que l’histoire est émaillée d’inventions capables du pire comme du meilleur. Le vrai sujet, c’est à quoi elles servent et qui en décident. Ceux qui en tirent profit ne sont évidemment pas les mieux placés pour le définir. Concernant Internet, leur but est de capter l’attention des internautes – la ressource la plus chère sur le web – pour les garder le plus longtemps possible sur leur site et donc de les exposer au plus de publicités possibles… ou de les voler aux concurrents.

De fait, qui n’a jamais passé des heures à remonter un fil d’information, à faire défiler des photos sans intérêt jusqu’à s’apercevoir que trois heures étaient passées ? À cet égard, les mises en garde d’inventeurs repentis de technologies qui rendent les internautes accros sont éclairantes. Ce qu’ils disent c’est qu’il faut une prise de conscience collective, protéger nos enfants, exercer notre liberté de choix, nous approprier les outils dont nous voulons, apprendre à nous en servir… pour ne pas devenir prisonniers des GAFAM… pour rester libres et, ce qui n’est pas accessoire, ne pas dilapider bêtement les ressources de la planète dans des usages qui nous aliènent. Mais il faut aussi prendre en compte que les usages numériques domestiques dont nous parlons ne représentent qu’une infime partie de l’utilisation des réseaux.

Ces développeurs pas vraiment à l’aise avec leur innovation…

Bill Gates, créateur de Microsoft, qui refusait de donner un portable à ses enfants avant 14 ans; Chamath Palihapitiya, ancien cadre dirigeant de Facebook, qui interdit aux siens de « toucher à cette merde »; Aza Raskin, l’inventeur de l’infinite scroll (défilement de contenus sans fin sur l’écran), qui dénonce le caractère diabolique de cette technique de captage des internautes, qui, selon ses calculs ferait perdre en temps passé l’équivalent de « 200.000 vies humaines par jour »; Tony Fadell, le père de l’iPod et l’un des co-créateurs de l’iPhone, qui reconnait que ce qu’il a créé ou aidé à créer peut, si ce n’est pas utilisé correctement, détruire les familles ou les sociétés et exhorte les gens à « prendre le contrôle et à travailler ensemble pour combattre ce monstre »; Guillaume Chaslot, co-créateur de l’algorithme de recommandation des vidéos sur YouTube, qui sensibilise aujourd’hui aux dangers que peuvent représenter ces algorithmes et regrette « Je me sens responsable et coupable, et maintenant, ma responsabilité, c’est de parler de ça pour qu’on change les choses »

L’Europe peut-elle relever ce défi ?

Au-delà de ces importantes questions « citoyennes », qu’on le veuille ou non, les acteurs économiques – Orange a fortiori puisque c’est son cœur de métier – ne peuvent s’exonérer de s’emparer des technologies numériques pour entrer dans l’économie de la donnée qui va être nettement boostée par le déploiement de la 5G et la montée en puissance des usages des intelligences artificielles. Les villes, les territoires qui refuseraient l’installation de la 5G s’exposeraient dans un court terme à devenir des déserts industriels. Tous les experts s’accordent à reconnaître que les pays qui ont pris de l’avance sur la 5G bénéficient d’une position privilégiée pour leur développement économique et commercial.

Mais il faut bien comprendre qu’avant toute chose, la 5G est une norme. Chaque réseau, ou appareil qui entend l’exploiter, doit respecter ses spécifications techniques, ce qui passe nécessairement par l’utilisation de technologies brevetées. Cela signifie que, sur le plan économique, au-delà des infrastructures matérielles que requiert la 5G, il faut s’intéresser au maillage de droits de propriété intellectuelle qu’elle implique. Pour donner une idée de l’enjeu, un smartphone moderne est protégé par environ 250 000 brevets. C’est à la lumière de cette réalité qu’il faut comprendre la croisade menée par le gouvernement américain contre Huawei et la prétendue intrusion des chinois dans les réseaux, exigeant des pays « amis » de bannir Huawei au motif de la préservation de leur sécurité nationale. Tout cela sans apporter la moindre preuve tandis qu’Edward Snowden a montré, en 2013, que la NSA avait piraté les serveurs de Huawei en vue d’espionnage. Ce déport sur la question de la sécurité a empêché d’appréhender le sujet sous l’angle de la politique industrielle et des relations internationales… ce qui faisait le jeu des géants américains. On voit bien que les enjeux du débat actuel sur la 5G dépassent de beaucoup la question d’une domination chinoise sur cette norme de téléphonie. La bataille de la 5G se mène essentiellement sur le terrain géopolitique avec, en toile de fond, l’affrontement toujours plus âpre entre les États-Unis et la Chine.

Sans prétendre que la question de Huawei en est la seule responsable, l’Union européenne n’a pas su définir une politique commune sur la 5G appréhendée sous l’angle de la politique industrielle et des relations internationales. Favoriser l’émergence d’un champion européen en s’appuyant notamment sur Nokia et Ericsson, en face des chinois et des américains et capable, avec les subventions idoines, de les concurrencer en matière de R&D3, en est un exemple. La Commission européenne poursuit sa politique suicidaire sans tenir compte du contexte géoéconomique, toujours au nom d’une marotte pourtant éculée, la sacro-sainte concurrence. FO Com dénonce depuis longtemps cet obscurantisme qui plombe nos économies durablement au profit des GAFA et des géants du net qu’ils soient américains ou chinois (dès 2015 nous avons interpellé maintes fois les autorités internationales et nationales, en particulier les députés et l’Arcep).

Pour les optimistes, l’Europe pourrait encore faire émerger un plan de relance des nouvelles technologies, de créer des méta-plateformes numériques en mesure de tenir tête aux géants américains ou chinois. Encore faudrait-il sortir de la fragmentation qui empêche toute stratégie commune cohérente et abandonner le dogme concurrentiel. La prochaine guerre mondiale sera-t-elle alors une guerre éthique et/ou numérique ? Quoi qu’il en soit, il reste à l’Europe à se positionner avec force pour espérer peser dans les enjeux que nous avons soulevés.

Des risques bien au-dessus du positionnement des entreprises

Les enjeux dépassent en fait la seule question du développement économique et de la politique commerciale. On le sait sans indépendance technologique, il n’y a pas d’indépendance nationale. Mais au-delà, il s’agit bien de la maîtrise des données, du pouvoir de communication, de la parole politique, de la sécurité des citoyens, en un mot de la démocratie. Laissera-t-on cela aux GAFA qui ne sont gouvernés que par leurs seuls profits ? Comme le dit Evgeny Morozov « Si le numérique reste un pilier incontournable de la définition et la construction du « monde d’après », la question éthique et démocratique n’en demeure pas moins centrale pour ne pas laisser tout pouvoir aux entreprises privées sur les choix techniques et normes qui seront déployés ». Et « il est assurément illusoire et dangereux de laisser à une poignée de milliardaires les clés de la défense de l’idée de démocratie ».
(Le Monde diplomatique d‘octobre 2020)

1 Pour FO Com, il est urgent de recruter a minima 4 000 CDI.
2 Avec des objectifs de couverture réseau, des offres de formations pour les clients et des équipements abordables.
3 Huawei a affecté plus de 10 % de ses bénéfices annuels, soit plus de 15 Mds $, à la R&D en 2019, devançant Apple et Microsoft.